Les 49ème rugissants…



Il est 9 h 10 me voilà caler dans le Sas de départ du Marathon de Sénart dont le coup de pistolet salvateur va être donné dans une dizaine des minutes. Une certaine tension règne toujours lors des départs... Un coup d’œil sur le collègue d’à côté qui a collé un sparadrap à son poignet avec ses temps de passage. Au vue de sa face livide, des regards inquiets sur son avant bras et des chiffres rouge, on penserait plutôt qu’il reprend vie délicatement après une tentative de suicide avorté. Pour plaisanter ou du moins de détendre son atmosphère, je lui demande « c’est le loto gagnant sur tes poignets »… Pas un sourire, pas un éclair d’humanité, la préparation à un marathon rendrait-il un brin con-con ?



Changeons de client, un coup d’œil sur le traileur fou qui sautille devant moi d’un pied sur l’autre. Equipé pour faire un dénivelé de + 5000 m, j’ai eu un moment de doutes. Me suis-je planté de course ? ai-je bien regarder s’il y avait le Mont Sénart, encore enneigé, à monter par sa face nord puis ensuite par le versant sud-est ? En tout cas, à force de faire le kangourou de Tigery (ville de départ du marathon), son gel du 30ème, celui qui vous donne la trique, tombe par terre. Je lui lâche « poaaa grave, celui-là, je le connais, il donne la fiente ». Contrairement à mon suicidé et son œil de poisson frit mariné, le pois sauteur me foudroie de son regard de Serial killers en ramassant son puissant philtre.

Devant un tel accueil ophtalmologique, je ne peux que glisser mon doux regard de biche effrayée sur mon camarade de gauche. Huggy « les bons tuyaux » est là. « Tous les garçons et les filles de mon âge qui se promènent, dans la rue, deux par deux (…) », connaissent ce personnage atypique de la série Starsky et Hutch qui ont fait les beaux jours de notre adolescence. Bob fixé sur le haut du crâne, une paire d’enceintes sur les oreilles, des lunettes de compétition anti-moustique et vêtu d’un short baggy digne héritier d’Handy bag, cet Urbanjoggeur, avec son sourire magnifique, chante à tue tête, faux bien évidemment, un air de soul des années soixante dix…





Devant un tel spectacle, je ne peux m’empêcher de penser à ma Maman… qui m’a mis au monde, il y a juste 49 ans et 12 minutes. Pour ceux qui n’ont pas lu le numéro de Voici d’avril ou bien qu’ils s’en tamponnent le coquillard, je suis né le 1er mai et pour fêter çà, j’ai décidé de courir mais aussi de souffrir le jour de mon anniversaire. En tant que coureur punk anarcho-capitaliste, j’ai décidé démocratiquement tout seul que je ne boirai pas, comme chaque année, une bouteille de Dom Pérignon 1976, pour fêter dignement cet évènement mais que je préférais passer ce rite socio-psychologique avec la grande et belle communauté des camarades coureurs ! « Si, Maman, si, si, Maman, si, Maman si tu voyais ma vie, je pleure comme je ris … », tu regretterais peut-être de m’avoir mis au monde. Imaginais-tu avec Papa, que 49 ans et désormais 13 minutes après le vendredi 1er mai 1964, ton fils unique, adoré, chéri, beau et surtout intelligent, partirait, avec une meute de dégénérés en culotte courte, sur les traces de Spyridon. Je crois sincèrement, connaissant ton pragmatique légendaire, tu aurais appuyé délicatement ma tête pour que je ne sorte pas tout de suite et que je retourne « maturé » encore quelques heures, voire quelques jours, dans tes entrailles !





Le départ étant retardé de quelques minutes, je profite d’une discussion entre deux professionnels du dimanche sur leur stratégie de course. Pour un gars comme moi qui n’a pas encore lu les « 5 moyens pour améliorer sensiblement ses performances, 10 minutes avant le départ d’un marathon» dans ma dernière revue préférée, je ne peux prêter qu’une oreille attentive à ce type de propos. « Si tu veux faire un temps, il faut te caler sur le meneur des 3 heures. Le peloton te protégera du vent sur la seconde partie et puis si tu as les jambes, tu t’envoles au 37ème , cela commence à descendre » dit le 1er coureur à son ami un brin circonspect devant de tels conseils. En tout cas, l’aplomb du gaillard ainsi que sa tenue parfaite logotée de la marque de mes baskets préférées sont des arguments pour qu’enfin j’ai MA stratégie de course à moi. A deux minutes du départ, il était temps…



Ayant un record depuis ma reprise de la course à pied en 2010, de 3 h 23 sur marathon acquis à Athènes en 2012, je n’ose pas m’accrocher aux meneurs des 3 heures. J’opte donc pour celui des 3 h 15 qui m’apparaît très sérieux, très classieux avec sa belle tenue noire et jaune fluorescente, floquée du Team de Dominique Chauvelier. Vous conviendrez qu’il m’en faut pas beaucoup pour m’emmener au bout du monde ou du moins, dans un premier temps, sur la ligne d’arrivée.



Me voilà donc m’envolant avec une quarantaine de gaillards et seulement une gaillarde pour de nouvelles aventures sur le bitume du 91 et du 77. N’ayant peu l’habitude de courir en covoiturage, je me place prudemment en milieu de peloton sur le côté, me positionnant ainsi en tant qu’Ethnojoggiste, dimension qui me convient bien tant que mon cerveau ne se déconnecte pas de mes guibolles. Je me suis aperçu rapidement, avant qu’elle n’explose, que les membres de cette meute réagissaient selon les grands principes de notre société. Les « premiers » de la classe, tête haute, sur de leurs performances qu’ils pensent déjà acquises, papotaient, fayotaient voir draguaient le male dominant, le meneur à belle allure, à qui on avait greffé un mat télescopique en polybicarbonate dans « le trou de balles ». Les seconds couteaux, planqués, dans le peloton, attendant sournoisement leur heure pour s’envoler.




Pour l’instant, la seule occupation de ces derniers est de se laisser porter par le groupe en frottant les pieds des zouzous devant eux, non pas pour les faire tomber mais pour leur mettre un brin de pression. Et là, cela commence à grogner, la belle communauté des coureurs, chaleureuse et universelle se fendille délicatement au fil des kilomètres. En tout cas, l’humour n’est guère de la partie, on est dans la performance… Percevant ces tensions runesques, je décide de me glisser avec les troisièmes couteaux à la fin du peloton au bout d’un dizaine de kilomètres. C’est comme à l’école, j’ai retrouvé auprès de ces exilés, les « atypiques pépères » mais aussi les plus boutes-en-train et comme vous le verrez plus tard dans mon récit, ils sont parfois aussi les plus robustes…




Nous les réfugiés de fin de peloton, dans un ultime ricanement, profitons que le meneur d’allure s’arrête pour mictionner kiki, et qu’il nous donne les commandes de la horde, en glissant au fond du peloton après un ravitaillement, pour tout faire exploser. Voilà pas que quelques sans grades se barrent à 14 à l’heure creusant rapidement un trou d’une centaine de mètres avec les ex-meneurs et les « crochepatteurs » et ceci après 28 kms de course… Notre meneur d’allure un brin déboussolé par la teneur des évènements et de la dislocation physique et chimique de sa 7ème Compagnie, décide de reprendre les choses en mains et bien évidemment, ses talents sportifs de haut niveau l’amènent à reprendre le contrôle, au avant poste du peloton, porté désormais par des obscurs rejetons, rejoints par quelque sprinteurs qui ont vite perçu que s’ils ne s’accrochaient pas, leur devenir serait incertains !



Cet évènement anodin de course, digne d’une blague de collégien attardé, fait que nous sommes passés en quelques kilomètres de 40 individus à une petite douzaine qui grossissait ou diminuait en fonction des personnes doublées qui tentaient parfois de s’accrocher dignement au porte fanion… Les kilomètres s’enchainaient s’en trop de difficultés pour ma part, me ravitaillant régulièrement sous l’œil sympathique des bénévoles et d’une organisation humaine sans failles.



Et puis voilà, que l’on arrive au 37ème kilomètres avec une grosse minute d’avance sur le temps prévu et là, le Chef de la tribu réduite lâche dans une déclamation digne de Napoléon à ses grognards sur les mornes plaines chères à Victor Hugo « que les plus robustes partent, vous serez largement en dessous de 3 h 15 »… Attendant cela depuis le début de la cavalcade, quelques uns de mes compères de route décident donc délicatement de prendre la tangente, rassurés dorénavant par leur victoire sur eux-mêmes. A partir de ce moment là, notre petit groupe réduit désormais à 5 coureurs, suivent en file indienne le chef Sioux, tout de jaune vêtu, faisant de sa voile un porte étendard que nous devions suivre normalement jusqu’au bout pour atteindre enfin le graal des 3 h 15 que j’avais frôlé lors de l’année 1986.



Et oui, cela ne nous rajeunit pas Ma Bonne Dame ! Après 23 ans sans courir en compétition et seulement 4 petites années de dossards depuis la reprise en 2009, voilà que mon record de jeunesse allait tomber le jour de mes 49 ans… Est-ce l’émotion devant un tel challenge ? Un mur tardif ? La désintégration de mon suiveur que je ne sentais plus mater mon popotin ? La vieillesse qui reprenait déjà le dessus sur mon nouvel âge, durement acquis ? En tout cas, je me trouvais subitement dans l’impossibilité de suivre l’allure régulière du meneur… impossible de chanter à tue tête « A la queue leu leu, tout le monde s’éclate, à la queue leu leu », je perdais inéluctablement, mètres après mètres le sillon du meneur d’allure qui pourtant me poussait avec ses encouragements et qui est revenu par deux fois à ma hauteur afin que je puisse raccrocher mes compères de route…

Ce fut deux kilomètres tragiques, voir pathétiques, totalement isolé, essayant de me battre contre moi-même et mes guibolles devenues chamallows, labellisées « pure guimauve » me permettant plus désormais de dépasser le 11 kms à l’heure.



Et puis, un choix de sagesse, malgré mon manque total de lucidité. Un arrêt salvateur à deux bornes de l’arrivée au ravitaillement de la dernière chance avec pour objectif de boire un peu de boisson sucrée et de me jeter un verre d’eau en pleine figure pour me réveiller de ma léthargie gérontologique. Ma perspicacité à distinguer l’eau de Sénart du Coca cola s’étant envolée depuis belle lurette, j’ai bien évidemment vidé la boisson saccharosée et cocaïnifiée sur ma tête, nécessitant ensuite un premier rinçage, puis un deuxième à l’eau claire, digne d’une pub pour un shampoing vantant les mérites du 3 en 1… Est-ce l’effet percutané du Cocacolalalaaaaa ou bien ma honte devant des nombreux bénévoles hilares devant de telles pratiques que j’ai repris ma course en avant, regonflé à bloc, comme une Pamela Anderson lors de son dernier siliconage.



Après ma litanie palliative, l’euphorie est là… Mes jambes tournent parfaitement, ma tête a repris le contrôle de ma vieille carapace. Je suis bien, serein, heureux. La voile jaune n’est plus très loin… je sprinte même dans une dernière éjaculation cérébrale endomorphinique… 3 h 15 et 13 secondes !!! Je hais les secondes parfois ! Vivement mes 50 ans !